Publié le 17 Juin 2019
Comme chaque année, on avait à peine démarré le périple de 2018 que l'on pensait à celui de l'année suivante. C'est bien connu, les projets font vivre et en ce qui nous concerne, les idées de voyages à vélo ne manquent pas. En fin de compte, c'est le temps qui manquera pour les accomplir tous.
Depuis le voyage à travers la Normandie on pensait à une des boucles du "Tour de Manche".
Officiellement il y a deux options : un tour 'court' et un tour 'long'. Nous avions déjà parcouru une bonne partie de la version 'longue', de Carentan jusqu'à St Malo. Recommencer ne nous aurait pas apporté grand-chose de nouveau. Notre choix fut donc un mix modifié des deux trajets, pour profiter pleinement des joyaux offerts par les côtes Anglaises et Françaises, ainsi que d'une découverte à vélo de Jersey.
Question logistique, cela entrainait trois voyages en ferry. Le premier de Roscoff à Plymouth, avec l'excellente compagnie Brittany Ferries; les deux suivants : Poole - Jersey et Jersey - Saint Malo avec la compagnie Condor. Combiner les jours et horaires de traversées a demandé un peu de flexibilité mais après quelques coups de fil tout s'est arrangé, permettant l'organisation d'un périple qui s'est déroulé sur deux semaines.
Côté parcours, les points de départ et d'arrivée étaient notre village à côté de Vannes. Jusqu'à Carhaix ce serait un trajet sur de petites routes tranquilles, via Guéméné sur Scorff, puis la belle voie verte Carhaix - Morlaix. Un coup de corniche à Morlaix jusqu'à Carantec, Saint Pol de Léon puis Roscoff. Côté anglais, le Tour de Manche quitte Plymouth plein nord jusqu'à Oakhampton, puis vire à l'est vers Exeter, privant le cycliste d'un passage dans le Parc National du Dartmoor.
Rémi et moi avions décidé que c'était bien dommage de ne pas transiter par le parc, lande désolée, pierreuse, peuplée de moutons, de petits chevaux sauvages et d'une grande quantité de menhirs, cercles de pierre et d'autres 'monuments' inexpliqués, bout d’Écosse transplanté au sud de l'Angleterre, domaine du vent (de face). On se demandait pour quelle raison la véloroute officielle du système Sustrans, 'évitait' en quelque sorte toutes ces merveilles, en en faisant le tour par le nord. On n'allait pas tarder à savoir pourquoi...
D' Exeter ce serait plein est vers Poole, cette fois sur la route officielle, circuit au relief bien accidenté. De Poole à Jersey deuxième ferry. Un tour de Jersey (65km), nous permettant de découvrir les extraordinaires paysages de l'île. Jersey - Saint Malo : troisième ferry plus un coup de bateau-bus jusqu'à Dinard, histoire de rattraper un peu de temps suite à un retard à l'arrivée dans la Cité des Corsaires.
En France, jusqu'à Saint Brieuc nous avons choisi de longer la côte sur l'EV4, via Fréhel et le Capt d'Erquy. Pour finir, une traversée nord-sud de la Bretagne jusqu'à Pontivy et au-delà, sur la véloroute N° 8.
En tout, Vannes - Vannes : 900km de bonheur et de météo tout à fait acceptable... (il n'a plu qu'une demi journée)...
La côte anglaise est physique, le parc du Dartmoor un peu plus encore. Certaines côtes de Jersey demandent aussi de bons mollets, mais quel bonheur de découvrir une telle variété de paysages, de pouvoir se dépayser si rapidement si près de chez soi. A recommander !!
Jour 1. Vannes - Guéméné sur Scorff, via Saint Avé, Plescop, Grand-Champ, Camors, Baud, Saint Barthélémy et Melrand. 70 km.
Démarrage à 8h30, direction Saint Avé. Belle matinée mais vent de NE glacial. Route relativement calme en plaine et en forêts dès que Plescop et Grand-Champ derrière nous, mais multitude de montées et de descentes à cause des nombreux ruisseaux, vallons, rus etc.. Très belle campagne, très variée et fleurie d'azalées et de rhododendrons. Un beau lièvre surpris au bord d'un champ ! Agréable étape de mise en route. Visite rapide de l'alignement de menhirs de Cornevec. Seuls deux sont encore debout. Étonnant Monument aux morts de Baud. Pique-nique à l'ombre de l'église de Saint Barthélémy. A 16h30 on est à Guéméné sur Scorff, à la chambre d'hôtes-restaurant-bar tenue par Ash, un Britannique établi en ville depuis de nombreuses années et qui ne baisse pas les bras face à l'exode.
Après le rangement des vélos dans la salle du restaurant, l'installation et la douche rituelle, tour du centre ville complètement désert ce lundi. Le village semble sinistré malgré les efforts de la mairie pour mettre en valeur quelques belles maisons ainsi que de beaux restes médiévaux.
Panneaux 'A vendre' un peu partout. L'Andouille ne paye plus ! Montée au calvaire, visite de la belle petite église, du monument à Hippolyte Magloire Bisson... Repérage de la Crêperie Pourleth, un des rares établissements ouverts le lundi soir..
Belle journée de pédalage malgré une mise en route fraîche rendant la gestion des habits problématique : au soleil on baignait dans notre jus, à l'ombre on était gelés..
Jour 2. Guéméné sur Scorff - travers Plougonven, via Plouray, Glomel, Le Moustoir, Carhaix-Plougher et la Voie verte Carhaix-Morlaix. 85km
Mise en route après un sérieux petit déjeuner et une conversation intéressante avec le patron qui se bat pour redonner vie au centre-bourg avant qu'il ne se vide des derniers commerces... Direction Carhaix sur une route qui me faisait penser à la crête des Sudètes autant par l'air vif, la végétation et le relief. Plouray et Trégonan méritent une halte pour admirer leurs églises fleuries.
Au Moustoir, arrêt obligé au Mémorial des Résistants. Parmi tant d'autres fusillés figure le nom de Guy Moquet, passé par les armes à 17 ans dans la Carrière des vingt-sept otages, au Camp de Choisel, à Châteaubriand. Là-bas, une stèle rappelle les dernières paroles du jeune homme : "Vous tous qui restez, soyez dignes de nous les 27 qui allons mourir"...
Continuation sur Carhaix où l'on se trouve un banc pour le break de la mi-journée. La fin du parcours se fera sur l'excellente voie verte Carhaix-Morlaix, une ancienne ligne de chemin de fer très roulante mais en faux-plat montant sur une longue partie du trajet. Aux trois quarts de la route, on passe la bosse pour profiter d'une belle section en descente, cette fois. La magnifique chambre d'hôte de Coatelan est atteinte en fin d'après-midi. Vieux corps de ferme / longère restauré avec beaucoup de goût par des passionnés du beau.
Le soir on dînera sur place car peu d'options à la ronde. Extinction des feux après un repas gastronomique facturé au prix d'un mauvais entrée-plat ou plat-dessert à Paris.
Très beau parcours en majorité en site propre. Soleil et vent du nord-est. Très longues montées "casse-genoux" mais peu à peu la 'bête' se dérouille.
Jour 3. Plougonven - Plymouth, via Morlaix, Saint Pol de Léon, Roscoff et Brittany Ferries. 40 km
Hier soir c'était la patronne qui officiait aux fourneaux. Ce matin, nous avons droit au patron, artiste échevelé qui nous entretient de tout et de rien pendant que les cyclistes dégustent un petit déjeuner tout aussi original et délicieux que le dîner de la veille.
Aujourd'hui pas de panique. Le ferry est début d'après midi et nous ne sommes qu'à environ 10 km de Morlaix. Le restant de la route, je le connais pour l'avoir parcouru plusieurs fois avec ma fille, en route pour l’Irlande.
Passage à l'Office du Tourisme pour le coup de tampon : 'Sils te mordent, mords les..." et continuation le long de la Corniche (surtout pas par la voie verte officielle qui ajoute des kilomètres de parcours 'up and down', alors que la baie de Morlaix, jusqu'au Frout, est si belle). Un petit raidillon pour rejoindre le haut de la côte à l'entrée de Carantec, puis une descente vers le pont de la Corde avant une nouvelle montée vers Saint Pol de Léon. Là les choses s'arrangent. Les quelques petits kilomètres restants vers Roscoff se parcourent en sites propres et partagés.
Pique-nique sur les hauteurs de Roscoff, près de la Chapelle Sainte Barbe. Ciel bleu, mais pas facile de trouver un coin à l'abri du vent glacial...
Descente vers le port où l'attente est minimale. Traversée sans problèmes sur "l'Armorique", 6 heures tout de même. Arrivée à 20h15 locales. Contrôle douanier autrement plus rapide et souriant que celui de Roscoff. Les derniers kilomètres jusqu'au B&B se font sans soucis. Simplement se souvenir de rouler à gauche et de faire le tour des ronds-points dans le bon sens...
Installation et douche, puis dîner à l'Indien du coin.
Encore une belle journée mais que le vent est froid....!
Nous voici chez les Angles pour un nouvel épisode de l'aventure !
Jour 4. Plymouth - Widecombe-in-the-Moor via la vélo-route 27 puis la 274, Hoo Meavy, Dousland, Two Bridges, Dartmeet, Ponsworthy, Dunstone, en plus de sentiers, bords de rivière et landes non prévus... 58km.
Après un petit déjeuner "Full English", mise en route vers la piste #27 du réseau Sustrans (réseau cycliste anglais, un peu l'équivalent de l'af3v.org en France). Passage au musée du Mayflower. En 1620, ce navire transporta vers le nouveau monde plusieurs dizaines de pèlerins religieux fuyant les persécutions de Jacques 1er. Ils établirent la 'Colonie de Plymouth' dans le Massachusetts, considérée comme un des fondements des futurs États-Unis.
Une fois terminée la visite du petit musée, situé dans les étages de l'Office du Tourisme, nous reprenons les ânes de métal attachés devant la porte, direction plein nord, sur la #27 qui longe la rivière Plym sur plusieurs kilomètres. (Plym Valley Trail). Les docks laissent rapidement la place à un beau sentier en sous bois, en faux-plat montant, en partie ancienne ligne de chemin de fer.
C'est à l'intersection avec la piste #274 que les choses se gâtent. Première côte d'enfer à Hoo Meavy, petit village de quelques maisons situé sur la route de Dousland. Je comprenais rapidement pourquoi Le Tour de Manche n'avait pas choisi ce parcours ! En vélo électrique c'était certainement envisageable mais avec nos montures à assistance "mollet" seulement ça relevait d'une belle épreuve du Tour de France dans les Alpes...
Relief dingue toute la journée avec des montées et des descentes à 20% (j'ai réussi 16%, mais pas plus...), heureusement contre-balancé par des paysages à couper le souffle. Landes à perte de vue, ajoncs, genêts, jacinthes sauvages, mousses, forêts de chênes, de sapins, de hêtres.. rivières, chevaux, moutons, murs de pierres sèches... comme si l'on se retrouvait dans la désolation des Highlands d’Écosse, avec le même vent du NE, bien glacial, en prime..
Des massifs rocheux constellent le Parc du Dartmoor, "peuplé" aussi de menhirs, de dolmens, de cercles de pierre... Celui que je voulais voir resta introuvable. Sans GPS ou carte d'Etat Major, peu de chance de trouver le chemin, qui se réduit bien souvent à un simple sentier non balisé, connu des seuls moutons.
On fera donc demi tour après avoir poussé les vélos le long d'un beau ruisseau, nous enfonçant peu à peu dans une forêt magnifique. Tant pis, faudra mieux préparer la visite la prochaine fois...
Belles rencontres en route : à chaque fois chaleureusement encouragés par des visiteurs en Land-Rover. Pour eux, un simple coup de pédale de gaz les propulsait en haut des côtes délirantes. Pour nous, c'était un peu plus physique...
On arrive à notre ferme B&B (totalement isolée au milieu de nulle part) vers 18h45, rincés et essorés, mais comblés, malgré les difficultés, d'avoir choisi de passer par ce parc magnifique, époustouflant, fiers de notre performance face au relief et aux vents bien contrariants...
Notre excellente hôtesse nous propose un coup de voiture jusqu'au seul pub à des kilomètres à la ronde, et vient nous rechercher après une bonne ventrée de hamburger/frites, de sticky-toffee pudding et de bière locale... Merci encore à elle qui nous a évité un retour, qui, comme on dit en Anglais, 'aurait cassé le dos du chameau'...
Jour 5. Widecombe-in-the-Moor - Budleigh Salterton, via Exeter et Exmouth. 61km.
Départ de notre ferme vers 9h00 après une nuit de plomb suite à la journée d'hier. Nos hôtes souhaitant connaître la suite de notre parcours nous proposent une alternative nous faisant gagner 10-15km et moult côtes. C'est tout ce que l'on voulait entendre ! Proposition adjugée-vendue.
Fallait simplement continuer la route passant devant chez eux, direction plein Nord jusqu'à l'intersection vers Moretonhampstead. De là, pas possible de se perdre.
Quelques raidillons néanmoins mais surtout des collines entières recouvertes de jacinthes bleues, de moutons et de chevaux. Rien d'autre à part des murs de pierres, des ajoncs et l'occasionnel arbrisseau ayant survécu au climat et au vent des lieux.
Quelques achats pour le pique-nique à Moreton, des cartes postales et des timbres et remise en route sous une fine pluie intermittente. Ciel plombé.
On s'arrêtera dans un abri de bus pour le break de midi avant de redémarrer vers Exeter, atteinte en début d'après-midi. La ville aurait mérité que l'on s'arrête plus longtemps, mais la météo était dissuasive. On concentrera donc la visite sur la cathédrale.
Notre B&B d'étape était située entre Exmouth et Budleigh-Salterton, pas loin du bord de mer. Très belle route en site propre le long de la rivière Ex, puis, à une intersection, on perd la signalisation de la #2. Galère à travers des zones résidentielles jusqu'à retrouver, grâce à un promeneur et son chien, la route menant à l'étape.
Arrivée guest house vers 18h00. Accueil très chaleureux de Palle et Rose. Installation et départ vélo (débâtés) vers le village voisin (Knowle) où nos hôtes nous avaient réservé une table au Dog and Donkey, un pub bien sympa.
Bien que moins physique qu'hier, on s'était frottés une fois encore à une multitude de côtes. Malheureusement une météo moins sympa avait "dé-saturé" les couleurs. Mais il avait fait beau depuis notre départ, alors....
Le Parc National du Dartmoor mérite une visite plus approfondie. C'est un domaine magique pour randonneurs. En tant que cyclos, je recommanderais de limiter les étapes à trente - quarante de kilomètres par jour, afin d'avoir plus de temps pour explorer son extraordinaire beauté !
Jour 6. Budleigh-Salterton - Puncknowle, via Knowle, Otterton, Salcombe Regis, Seaton, Axminster, Bridport, Burton Bradstock et Swyre. 83km.
Départ tardif de notre B&B suite à une conversation avec d'autres visiteurs... Pas de soucis sur les premiers kilomètres sur une ancienne voie de chemin de fer. Visite de la plage de Budleigh-Salterton : galets et falaises de grès rouge. Très beau chemin de randonnée cyclable le long de la rivière Otter.
Puis, tout à coup, ça se gâte "grave" comme dirait la jeunesse... Série de montées et de descentes infernales. Un passage à gué. Heureusement, pour les cyclistes il y a une passerelle.. Pique-nique champêtre et remise en route vers Beer et Axminster. Une soudaine absence de panneaux de la #2 nous fait perdre beaucoup de temps. Même punition dans Axminster où l'on tourne un bon bout de temps avant de retrouver notre chemin.
Les montées et descentes ne semblant pas se calmer et la pendule ayant bien entamé l'après-midi, on décide d'abréger les souffrances et d'essayer de gagner du temps en empruntant la nationale directe sur Bridport. Relief plus nuancé mais pas mal de voitures, donc vigilance !
Fin de parcours pénible jusqu'à Puncknowle où nous arrivons après 19h00. Dîner au pub d'à côté et retour B&B pour une deuxième nuit de sommeil de plomb !
Pourvu que le vieil adage : 'jamais deux sans trois' ne se réalise pas demain !!
Jour 7. Puncknowle - Poole, via Abbotsbury, Martinstown, Dorchester, Stoborough et le ferry de Sandbanks. 72km.
Dernière étape en Angleterre avant le ferry de demain, vers Jersey. Météo magnifique. Vues splendides vers la Manche : prairies, moutons, ondulations des dunes à perte de vue. On aperçoit le lagon du Fleet, un plan d'eau de plus de 13km de long, contenu entre la côte à l'arrière et une bande de sable ininterrompue coté Manche, formant ainsi une sorte d'immense lac salé. Seul un chenal du côté de la presqu'île de Portland permet des entrées d'eau de mer.
Premier arrêt à Abbotsbury, charmant petit village tout en longueur. Une rue transversale permet de se rapprocher de la sente qui monte à la curieuse Chapelle Sainte Catherine, perchée sur la dune, entre village et mer.
Après des courses au Spar local, ouvert le dimanche, sortie du village par Bishop's Way. Ce sera l'unique et dernière côte de la journée.
Des hauteurs on aura une vue extra sur la campagne environnante. Nombreux buissons d'aubépine rose et blanche, églantiers, jacinthes et autres fleurs... Chemins et routes de la #2 étroits et peu fréquentés. Rien que du bonheur... malheureusement un peu gâché par le ciel qui se couvre en début d'après-midi et la pluie qui tombera non-stop jusqu'a notre arrivée à Poole.
Déjeuner dans un arrêt de bus, au sec. L'après-midi file vite, les kilomètres (à plat) aussi. Routes magnifiques bordées de hêtres, de rhododendrons puis, peu à peu, à l'approche du ferry, sols et végétation changent : dunes de sable, ajoncs, genêts, sapins, tout devient court sur pattes... Encore quelques chemins empierrés, puis plusieurs passages en prairies détrempées (dur, dur avec des pneus gonflés à 5 bars...). Nombreux portillons à ouvrir et à fermer pour éviter la divagation des animaux..
Sandbanks est atteint après une "traversée" de 4 minutes en ferry à chaînes. Le courant entrant et sortant de la baie est très puissant : libre de ses mouvements, sans ses chaînes de retenue, un ferry se retrouverait rapidement à mi-Manche...ou au fond de la baie, selon la marée.
Le trajet vers notre B&B est simple. Il suffit de suivre la côte. Pub-Hôtel sympathique. Les vélos sont remisés dans un coin du bar. Excellente nourriture et bons lits. Que demander de plus de cette belle journée ?
Jour 8. Poole - Jersey par le ferry. 9km de vélo...
Mise en route vers 8h30, direction le port où les formalités de police et d'embarquement se passent sans problèmes. Ciel gris et menaçant.
Notre 'Condor Liberation' est un énorme trimaran qui engloutit patiemment camions, voitures, passagers et vélos. Les salons sont équipés de rangées de sièges semblables à ceux que l'on trouve dans les avions. Le ferry n'est pas bien plein aujourd'hui. Un déjeuner relativement acceptable nous permet de passer le temps, car malgré les 36 000 ch (3 moteurs de 20 cylindres, de 347 L de cylindrée chacun), propulsant le monstre sur les flots à 39 nœuds, la traversée semble interminable.
A mi-Manche le ciel est au beau fixe. Le vent du pont m'évite de sombrer dans une sieste qui me fait du pied, après les 4 jours de vélo dans les montagnes russes d'Angleterre..
L'approche de St Hélier est fascinante, tant l'énorme machine est obligée de se contorsionner pour accéder au quai de débarquement... ceci après avoir navigué entre la multitude d'îlots à l'entrée du port.
Un automobiliste nous indique le chemin permettant d'éviter un raidillon conduisant au 'Havre des Pas', adresse de notre B&B. On y arrive en quelques coups de pédale, heureux de circuler 'à plat'.
Les vélos sont remisés dans le hall. Les cyclistes douchés, déguisés en touristes, finissent la soirée devant une excellent brochette dans un sympathique restaurant portugais.
Jour 9. Jersey all day. Tour de Jersey sur la véloroute N°1. 67km.
Grand bleu, soleil, pas un souffle de vent.
Mise en route sans se presser vers 9h00 dans le sens horaire. Départ le long du port et des plages friquées de la Baie de Saint Aubin, dont les propriétés et jardins rivalisent de beauté (et probablement de coût). Très belles pistes cyclables, en site propre pour la plupart.
Au petit port de St Aubin, la piste s'enfonce dans le sous-bois vers Saint Brelade et ressort, encadré par une belle rangée de pins, le long d'un terrain de golf. Au bout, c'est Corbière, son phare et l'imposant blockhaus allemand, transformé en tour de la radio.
C'est la fin de la 'Riviera'. Les habitations se font plus rares et une agriculture, qui semble toute entière dédiée à la culture de la pomme de terre, prend le relais dans les terrains sableux. Plages immenses de sable fin. Pas un chat.
La véloroute continue sur pistes et petites routes en direction du coin nord-ouest de l'île. Profusion de fleurs.
A Etacq, commune de Saint Ouen, beau raidillon pour remonter sur le 'plateau'. Extraordinaires vues de toute la côte ouest. On choisira ce coin pour le break de midi, ne sachant pas où regarder tant les paysages étaient magiques. A marée basse il paraît que la superficie de l'île peut pratiquement doubler !
La véloroute, après une halte dans une zone de fortification allemandes de la dernière guerre (la énième), nous emmène plein est vers le village de Saint John, à travers des paysages plus rustiques, pays de petits villages, de routes étroites bordées de haies, de cultures, d'élevage, de prairies, de champs de pommes de terre... Ici on travaille. Sur la côte sud on 'paraît'.
La langue Française -écrite- (d'un autre temps) est omniprésente.
A la Baie de Rozel, au coin nord-est, la voie N° 1 nous conduit près du Château La Chaire, mais surtout à travers son extraordinaire jardin de plantes de toutes origines. Le prix à payer pour la visite est une magnifique côte comme celles que nous avions goûtées en Angleterre.
Partant de là plein sud, le chemin nous mène à Gorey, son château, son port et l'immense plage de Grouville.
En quelques coups de pédale on est de retour au Havre des Pas après une très belle journée à découvrir cette île splendide, à 15km à l'heure.
Seule ombre au tableau : l'impérieuse et grotesque nécessité qui semble s'être emparée des locaux (et des visiteurs anglais) de s'équiper de SUV plus gros et plus polluants les uns que les autres pour circuler sur une île minuscule qui peu à peu s'asphyxie tant la circulation est démente. Certaines routes n'ont rien à envier à des artères parisiennes tant le flot de voitures est ininterrompu. A continuer de la sorte, ils le feront crever, leur petit paradis.
Vanité, quand tu nous tiens !....
Dîner dans le restaurant de l'hôtel d'à côté avec vue imprenable sur la mer !
Malgré les réserves mentionnées ci-dessus, c'est un endroit (encore) paradisiaque hors pleine-saison. Une semaine ne serait pas de trop pour en découvrir tous les trésors.
Jour 10. Saint Hélier/Jersey - Sables d'Or les Pins, via Saint Malo, Dinard, Saint Briac, Lancieux, Matignon et Fréhel. 50km..
Levés de bonne heure pour le ferry 'Condor Rapide' de 9h10. B&B > parking de la compagnie en 15 minutes. Embarquement sans soucis dans un navire au trois quarts vide. Ruée sur le petit-déjeuner qui épuise ce qui nous restait de monnaie anglaise.
Pour une raison pas très claire, le ferry fait un crochet par Guernesey (au nord) avant de reprendre sa route vers Saint-Malo. Ceci nous plombe la journée de 2h00 et réduira d'autant le trajet prévu.
Traversée vers Saint Malo sur une mer d'huile. Soleil et ciel bleu. Douane à l'arrivée vite expédiée.
Direction le Bus de mer pour Dinard, déménagé à la gare maritime pour cause de travaux à son ponton habituel.
Le débarquement côté Dinard est toujours aussi folklo. L'escalier permettant l'accès à la rue est toujours là, équipé maintenant, il est vrai, d'une goulotte sur le côté pour monter les vélos. L'ascenseur, en panne lors de notre dernier passage il y a quelques années, est maintenant condamné...
Bienvenue aux personnes à mobilité réduite !
Sans trop tarder on met en route vers Saint Briac puis Lancieux, rattrapant la véloroute EV4 au sud de Saint Jacut. Ce sera ensuite Matignon, Port à la Duc et Fréhel avant de filer vers Sables d'Or les Pins, via Vieux-Bourg/Pléhérel. Succession de montées et de descentes interminables mais sans grandes difficultés. Vue extraordinaire sur le Cap Fréhel depuis Vieux Bourg !
A Dinard, n'ayant pas fixé l'étape de la journée, Rémi "assure" la nuitée en chambre d'hôte aus Sables d'Or. On y arrivera vers 19h00 après un jeu de pistes dans un beau lotissement de résidences secondaires, la plupart fermées en attente de la saison estivale.
Notre sympathique hôte s'offre de nous conduire en "ville" pour dîner à la Pizzeria locale. Faut faire vite car on ferme de bonne heure hors saison. On remontera à pied ayant bien repéré la route pour rentrer au plus court.
Journée cool, de transition, sous une météo magnifique. Seul regret : ayant perdu deux heures à cause du passage à Guernesey, nous n'avions pas eu le temps de passer par le Cap Fréhel. Ce sera pour demain.
Jour 11. Sables d'Or les Pins - Hillion, via Cap Fréhel, Cap d'Erquy, Pléneuf Val-André, Morieux sur l'EV4. 66km.
Ayant avalé l'excellente tarte à la rhubarbe préparée par notre hôtesse et longuement discuté avec un couple de Suisses également pensionnaires à la chambre d'hôte, on met en route vers le Cap Fréhel. Belle piste cyclable en propre et partagé. Peu de monde sur la route à cette heure.
Rémi est très déçu par ce qu'il découvre, bien loin des souvenirs d'enfance d'un lieu sauvage et très peu fréquenté.
Aujourd'hui, c'est une affaire commerciale avec parkings et visites payants, touristes peu soucieux de la fragilité du littoral, déversés par autocars complets, laissés libres pendant une demi-heure pour se précipiter vers le belvédère surplombant la réserve ornithologique, prendre les photos et continuer le circuit...
On n'y reste pas longtemps, préférant filer vers Erquy, toujours sur l'EV4. Achats pique-nique et direction le Cap, atteint après une belle côte en ville et un lacis de petits chemins en forêt et sur la lande, mettant ce lieu magique hors de portée du tourisme de masse.
Discussions avec des randonneurs et casse-croûte sur les rochers surplombant une mer d'huile. L'endroit est magnifique !
Sans but précis, mais visant les environs de St Brieuc, on remet en route en suivant la côte, up and down dans les terres ou en bordure de mer, sur des chemins agricoles, des sentes, des petites voies peu fréquentées.
A Hillion, par chance, on découvre l'hôtel du Bon Saint Nicolas, situé juste derrière l'église, tenu par un couple très sympathique et attachant, totalement hors normes dans notre société de repli sur soi, de méfiance de l'autre, de rejet de la différence.
Philippe Baudet et son épouse sont une bouffée d'air frais et encourageant. Pour eux rien n'est impossible quand on a décidé de faire le bien.
On discutera longtemps avec Philippe, bien au-delà de la fin de l'excellent repas qu'il nous avait préparé.
Ça fait chaud au cœur de rencontrer des gens comme lui et sa femme. Générosité, grande ouverture d'esprit et fraternité sont des mots encore trop faibles pour les qualifier. Merci à eux de nous avoir donné tant de bonheur !
Jour 12. Hillion - Pontivy, via Yffiniac, Quessoy, Hénon, l'étang de Bosméléac, la Rigole d'Hilvern (sur la véloroute V8, Le Quillio, Guerlédan, saint Aignan puis la EV1 (halage Blavet) jusqu'à Pontivy. 98km.
Encore une bonne discussion avec Philippe ce matin !
Passage à la Mairie/Office du Tourisme pour infos sur la meilleure façon de nous rendre à Pontivy. La véloroute V8 nous donne la réponse. On y fera quelques aménagements à la hauteur de Le Quillio afin de couper directement sur Guerlédan/Saint Aignan, pour rattraper le halage du Blavet jusqu'à Pontivy.
A Yffiniac petit détour pour ne pas louper un coup de tampon à la Mairie de Bernard Hinault.
Très long trajet au relief parfois cassant, que la beauté de la V8 fait rapidement oublier. A Pleuc-l'Hermitage une petite épicerie nous procure le nécessaire pour un pique-nique pris à côté de l'ancienne gare, transformée en bibliothèque. Près de l'étang de Bosméléac on emprunte la magnifique sente longeant la Rigole d'Hilvern, qui jusqu'en 1986 alimentait le Canal de Nantes à Brest.
Zigzags incessants en sous-bois sur un chemin en faux-plat descendant. Magnifique à tous points de vue. On quitte ce paradis à la hauteur de Le Quillio pour une directe sur Guerlédan, via la D35.
Passé le raidillon à l'entrée de Mûr de Bretagne, ce sera une très, très longue 'descente' vers Pontivy, d'abord par la route jusqu'à Saint Aignan, puis sur le halage du Blavet jusqu'à destination.
Une fois encore, Rémi assure en nous trouvant une chambre pour la nuit. A 19h00 passées ce n'était pas gagné d'avance.
Après un reconstituant repas au resto d'à-côté, un peu contrarié par un vieux con d'au moins 300 ans qui étalait bruyamment une inépuisable science, réduisant Wikipédia à un "Apéricube" de Vache qui rit, ce sera direction l'horizontale pour un repos bien mérité. Ce soir, pas de promenade digestive, ni de besoin de marchand de sable...
Très belle, même si très longue et physique journée de pédalage. Beaux paysages.
Le 'halage' de la Rigole d'Hilvern est un must ! Malgré tout, si l'on décide de le parcourir à vélo, il est préférable d'envisager le trajet dans le sens nord-sud...
Jour 13. Pontivy - Hennebont - Vannes, via le halage du Blavet, Pluvigner, Plumergat, Plescop et Saint Avé. 112km
Fin de voyage sous un ciel gris.
Première partie en suivant les nombreux méandres du Blavet, aux paysages si variés, aux eaux souvent mystérieuses, coupé tant de fois par des écluses qui ne servent plus guère qu'aux plaisanciers et fanas de canoë.. C'est encore un peu tôt pour les "concours de fleurissement" qui égaient ces structures sévères.
Arrêt pique-nique à Saint Nicolas des Eaux où Flore, la jeune propriétaire de la Boutique de l’Écluse déploie une belle énergie à redonner vie à cette étape sympathique. Outre une activité épicerie-buvette-petite restauration, location de vélos-de pédalos etc.. elle proposera bientôt une chambre d'hôte.
Bravo à elle, avec le plus sincère souhait qu'elle réussisse !
La suite du halage est sans problèmes. Revêtement inégal parfois, mais s'améliorant au fur et à mesure que l'on s'approche d'Hennebont.
De là ce sera la route de Pluvigner, Plumergat et Plescop avec passage à Saint Ave avant de retrouver la maison.
La boucle est bouclée. Encore une formidable aventure pleine d'efforts, d'amitié, de souvenirs et d'envie de recommencer....
Pas de panique, le projet 2020 est déjà bien mûr...
2019 : j'ai 70 ans.... alors, j'ai envie de terminer par un satisfecit, car l'on n'est jamais mieux servi que par soi-même !
Aux nombreux "ah.... vous avez de la chance de faire ce que vous faites..." entendus souvent durant nos voyages, je répète que la seule chance que nous avons est d'être en bonne santé !
Le reste : à savoir, organiser, partir -un peu vers l'inconnu-, pédaler pendant des kilomètres sous tous les temps, aller vers l'autre, découvrir... n'est qu'une question de goût personnel, de curiosité, de volonté et de refus de baisser les bras face aux années qui passent trop vite, ou encore face à la peur de l'autre, au chacun pour soi que l'on constate malheureusement de plus en plus.
Ré-enchantez vos vies. Le bonheur est dans ce qui est simple !
Je conclurai donc cet article par une photo prise dans un des arrêts de bus où Rémi et moi avons trouvé refuge pour un pique-nique au sec, un jour de pluie en Angleterre...